Belturbet dans le Comté de Cavan au nord de la République d’Irlande. Mais aussi en frontière de l’Ulster ou Irlande du Nord, et surtout, située sur les rives de l’Erne. Car après le Shannon cette rivière qui coule du sud vers le nord est à l’origine du deuxième plus grand complexe hydrographique du pays. Une superbe région où l’eau paraît omniprésente de par l’extraordinaire découpage des terres qui y délimite des centaines de kilomètres de berges. Et d’offrir, sans toutefois posséder d’immenses plans d’eau à l’exception du lough Oughter, une grande diversité de sites dont il se dégage un grand charme. Particulièrement à l’automne, époque reine de la pêche du brochet dans ces eaux. Car c’est là qu’est situé l’International Fishing centre où nous vous convions ce mois-ci.
Fabienne X, l’épouse d’un Suisse passionné de brochet se souviendra longtemps de son passage à l’International Fishing Centre car après avoir accompagné consciencieusement son pêcheur de mari, elle s’est crue autorisée en fin du séjour à prendre les ultimes clichés de sa dernière pellicule en fixant les célèbres “moilies” ou vaches d’Agory, une espèce rare originaire d’Irlande. C’étaient les derniers instants d’une semaine intense mais pas marquée jusque là par la prise d’un “plus de 1 mètre”, le trophée tant recherché par tous les habitués du centre. Quand soudain, à la dernière minute, une attaque, un combat et quelques minutes plus tard une gueule béante qui émerge de l’eau : sur le banc spécialement aménagé dans chacune des barques, le brochet accusera alors 1,21 m de long pour 28 lb au peson… et plus une seule photo pour immortaliser ni officialiser l’exploit ! On imagine le dialogue qui s’ensuivit entre monsieur et madame car si le record toutes catégories n’était pas battu – il est à 1,37 m pour… 45 livres – on comprendra volontiers que ce n’est pas tous les jours que de telles captures sont enregistrées. Même ici, véritable temple du brochet.
Des histoires de brochets, Michel Neuville le créateur et propriétaire de ce centre de pêche tout à fait exceptionnel, pourrait en raconter pendant des soirées entières comme celle de ce modeste pêcheur, Belge cette fois, dont les copains s’étaient cotisés pour qu’il les accompagne à l’occasion de son soixante dixième anniversaire. Et de venir avec son matériel de toujours, c’est à dire une canne en bambou, un moulinet anti-déluvien, ses bouchons tout aussi amortis… mais de laisser dire. Premier jour de pêche, il s’installe à 200 mètres environ en contre bas du ponton qui fait face aux bâtiments du centre de pêche. Et de procéder comme s’il était au bord d’un watergang de sa Flandre natale… pour sortir de l’eau une heure plus tard un superbe brochet de 1,12 m pour 21 livres ! Ou encore ce brochet qui n’est resté aujourd’hui dans la petite histoire de l’I.F.C. qu’à travers le numéro 2068 pour la simple raison que Michel Neuville ayant lancé une opération de bagage en 1992 pour tenter de mieux cerner le comportement des brochets dans le réseau de lacs, rivières et canaux de l’Erne, fut tout simplement repris 78 fois. Oui, vous avez bien lu !
C’est là qu’est implanté l’International Fishing Centre depuis 1986, date où Michel Neuville et son épouse Yvette ont fait le grand saut de France pour l’Irlande, quittant définitivement leur côte d’Azur… Avec des débuts chargés car il a tout fallu construire à partir d’une première maison retapée par leurs soins et imposer une nouvelle méthode de pêche, sportive celle-là, car l’Irlande après avoir été longtemps le paradis des pêcheurs de brochets, a payé cher son absence de gestion entre les années 80 et 90 et les prélèvements excessifs réalisés sans vergogne… Aujourd’hui si la situation est redevenue satisfaisante c’est grâce à une attitude extrêmement respectueuse et sans faille de quelques trop rares personnes enfin conscientes de la valeur touristique et commerciale du poisson d’eau douce, sans oublier le nécessaire respect qui lui est dû ! Et puis il y a eu la clientèle qui, dès le départ a répondu à l’offre – une simple “petite annonce” dans la Pêche et les Poissons qui en trois mois ramènera 480 réponses soigneusement compilées dans deux boîtes à chaussures par le chef de publicité de l’époque… – et a permis aux Neuville de relever le pari, pas forcément évident à l’époque…
Dès l’arrivée un rapide briefing du maître des lieux met le pêcheur immédiatement dans l’ambiance. Après s’être installé dans l’un des 10 chalets mis à la disposition des visiteurs. Michel Neuville en personne présente le site et les lieux de pêche : le réseau de l’Erne composé de chenaux, de lacs, généralement de la taille d’un grand étang, de canaux ou encore, notamment dans la partie basse, de plans d’eau libre plus étendus où il fait bon pêcher sous le vent. Et à côté, ou plus exactement tout autour, dans un rayon de dix kilomètres environ, une dizaine de lacs enfouis dans un bel écrin de verdure, avec ou sans île, à fond de pierres ou tourbeux, ce qui a son importance sur la température des brochets. Pour chacun, un plan de situation est non seulement fourni mais les zones à pêcher sont balisées. D’ailleurs, Michel Neuville, en grand professionnel multiplie dans sa démarche, les conseils et les informations à l’attention de ses clients qui, très vite deviennent d’ailleurs des compagnons de pêche : quels montages il convient d’employer, où attaquer de préférence les différents plans d’eau attribués en fonction de la saison et du temps, quels types de leurres employer… encore que chacun ait toute latitude pour affirmer librement ses certitudes ! Un seul impératif avec lequel il n’est pas question de transiger : ici, à l’I.F.C. on ne tue pas un seul brochet – c’est le poisson roi même si on peut aussi pêcher non seulement le blanc mais la truite à la mouche – quelle que soit sa taille, et la façon dont il a été pris. Mieux, on met un point d’honneur à tout faire et le plus délicatement possible pour le dégager des hameçons qui l’ont pris, couper au besoin les branches d’un triple trop profondément engagé pour le retirer, ressortir le fil d’acier par les branchies… et de passer le temps qu’il faut pour réanimer sa prise après l’avoir mesurée, estimée ou pesée et parfois photographiée… le plus rapidement possible. A cet effet la quinzaine de barques, toutes équipées d’un Yamaha 8 ch et d’un sondeur fixe, sont dotées sur le banc central d’une échelle adéquate !
Départ en compagnie de deux pêcheurs, un autre Michel, de Bruxelles, et Thomas, de Dunkerque, pour le petit lac de Killywilly, situé à une dizaine de kilomètres du centre de Belturbet. Michel qui vient ici pour la 4ème fois connaît bien les lieux et se réjouit d’y revenir puisqu’une année, il y a pris pas moins de 14 brochets en deux heures. C’était il y a deux ans et au mois de novembre, il se souvient aussi qu’il ne faisait pas très chaud… Arrivée devant le portail métallique d’une pâture : là nous sommes déposés puis moteur sur l’épaule et matériel de pêche en mains, nous nous dirigeons vers un bosquet en contrebas où l’on nous a expliqué que se trouve l’embarcadère. Inspection des deux barques qui nous attendent, fixation des Yamaha 4 ch (puissance suffisante pour le lac) et montage des lignes : nous pêcherons au flotteur avec des poissons morts ou sur le point de l’être car la réglementation en République d’Irlande n’autorise pas la pêche au vif. Ce qui ne pose aucun problème car les vagues du lac animeront suffisamment le gardon pris la veille du ponton situé en bas du centre ! Et l’attente commencera, plus ou moins longue selon que l’on est dans les bons paramètres : température de l’eau qui doit se situer pour être idéale, entre 5 et 12 °C et époque se situant approximativement entre le 15 septembre et la fin novembre pour cette période de l’année. D’ailleurs le maître des lieux définit ainsi son année de pêche : de début mars, date d’ouverture du centre, au 15 juin, pêche des carnassiers d’été ; du 15 juin à fin août-début septembre, pêche d’été en famille, ce qui signifie que c’est l’époque idéale pour faire d’extraordinaires pêches de poissons blancs, gardons, tanches, brèmes, goujons, anguilles, etc. mais noter que la carpe est absente des eaux irlandaises, et enfin la grande période du carnassier d’automne jusqu’à la fin du mois de novembre, à partir du moment “où la feuille de saule est tombée”. Ce qui ne sera pas sans rappeler quelque chose aux pêcheurs de brochets du continent !
C’est Michel qui ouvrira “une fois” le bal avec d’abord un cinq livres qui se défendra comme un diable, puis un quatre livres qui lui aussi sera remis à l’eau immédiatement. Mais Thomas, patient comme seul un pêcheur passionné sais l’être rattrapera vite son retard, sans que toutefois les prises aient quelque chose d’exceptionnel. Mais ainsi va la pêche y compris en plein cÅ“ur de l’Irlande. Quant à moi, ayant sorti des petits poppers Lucky Craft et ma toute nouvelle canne Procaster Daiwa à fil intérieur, je me suis régalé avec les perches nombreuses sous les herbiers et les nénuphars qui bordent la plupart des lacs pêchés !
Les journées se succéderont ainsi sur ce rythme de pêche intense, tantôt en lac tantôt en rivière à la demande et au souhait du pêcheur, se soldant par un bilan allant de trois à sept ou huit prises, pour une journée de pêche complète puisque l’en-cas de midi est fourni le matin à chaque pêcheur et qu’il est sorti du sac au bord de l’eau ou même sur l’eau puisque la plupart du temps on est en barque ; avec en prime, d’une part une autonomie complète et une immersion totale dans la nature. Or l’on sait que l’Irlande est belle et ce n’est pas un mince plaisir que d’évoluer lentement en bordure de kilomètres de joncs et de roseaux peuplés de foulques macroules, de grèbes huppés, de hérons cendrés, ou encore, mais à partir de septembre de sarcelles d’hiver, de bécassines sur les platières ou encore d’oies cendrées effectuant une halte réparatrice. Ensuite à chaque pêcheur de tirer son épingle du jeu car même si la densité de poissons, aussi bien blancs que carnassiers, est exceptionnelle – au point de faire regretter amèrement la mauvaise gestion et la pauvreté des eaux continentales – rien n’est jamais acquis à l’avance. Qu’on se le dise, ici comme partout ailleurs c’est vraiment de la pêche naturelle sur des poissons sauvages et n’était que tout est fait à l’I.F.C. pour vous faciliter la vie et… les conditions de pêche, vous pourriez vous croire au fin fond du Morvan ou d’une autre de nos régions, l’abondance en plus ! D’ailleurs la plupart des pêcheurs ne s’y trompent pas car non seulement ils reviennent plusieurs fois mais ils deviennent des habitués. A 80 %, précise avec une légitime fierté Michel Neuville qui connaît parfaitement son rôle, qui est toujours là pour assister, mais juste ce qu’il faut, les pêcheurs et ne fera jamais rien pour artificialiser cette pêche qu’il aime tant. Car s’il n’avait pas d’abord été pêcheur fou de brochets lui-même, peut être n’y aurait-il jamais eu de centre de pêche !
Reportage de Jean A. Capiod paru dans ” Le Magazine des Voyages de Pêche “, N° 29 ; Octobre – Novembre 2001