On l’a dit et redit mais pourquoi ne pas le répéter : l’Irlande est un pays magnifique, peuplé d’hommes rudes mais aimables, robustes mais courtois, épris de poésie, de musique, de bière… et de pêche. Un pays aux ciels sans cesse renouvelés, aux paysages et aux eaux multiples et variés : des milliers de kilomètres de rivières et d’hectares de lacs, sans compter les côtes maritimes découpées comme de la dentelle. Envoûtés comme bien d’autres avant eux par le charme unique de la verte Erin, Yvette et Michel Neuville ont fini par “craquer” : ils s’y sont installés et ont décidé, il y a quatre ans, de créer un “hôtel-cottage” pour recevoir les pêcheurs européens, français en particulier.
Elle, infirmière, lui, directeur commercial à Strasbourg, les Neuville avaient l’habitude de passer leurs vacances en Irlande où ils sillonnaient le pays, l’un traquant truites et brochets, l’autre s’imprégnant d’un folklore obstiné et des lubies tropicales des jardins des comtés de l’Ouest. Un jour, ils décident de “retaper” une fermette qui leur servirait de pied-à-terre. Pendant plusieurs mois, ils oublient brochets et rhododendrons et s’acharnent à terminer leurs travaux. Le maçon, qui possède une barque à moteur, leur propose par une belle journée de printemps de découvrir l’Erne qui coule en bordure de la propriété. Après quelques heures de navigation, Michel est fasciné par le charme sauvage de ce réseau hydrographique hors du commun. C’est le coup de foudre ! Michel a senti les énormes possibilités de ce petit paradis. C’est décidé, ils quitteront la France et construiront un complexe permettant d’accueillir les pêcheurs européens.
Il leur a fallu deux ans d’un travail de forçat pour faire naître l’International Fishing Centre de Belturbet. Mais quel résultat ! : – 10 chalets individuels comprenant une salle bar-salon, 2 chambres, douche, W.C. séparés, chauffage individuel, d’une contenance de 5 personnes. – 1 grand chalet composé de 2 studios équipés pour 2 x 2 personnes. Tous les chalets sont équipés de porte-cannes et de tire-bottes, harmonieusement décorés de fleurs et plantes diverses… Bref, on est chez soi ! Quant à l’ancienne fermette, elle est devenue appartement des Neuville, restaurant, salon télé (avec les chaînes françaises), salon vidéo et bibliothèque. Ici, l’argent n’existe pas : chaque pêcheur marque sur un carnet ses dépenses (bateau, essence, consommations), la confiance est totale. La cuisine à la française d’Yvette est bien évidemment à la hauteur des autres prestations.
2 heures d’avion nous séparent de Dublin, le minibus du Centre nous y attend, c’est le premier contact. Michel ou son fils prennent en charge les pêcheurs et les deux petites heures de route sont bien vite oubliées tant les conversations vont bon train. Les bagages distribués dans les chalets et tout ce petit monde se retrouve dans le living-room. Chaque pêcheur s’y voit remettre une carte générale et un ensemble de plans détaillés de la rivière et des lacs où sont mentionnés les profondeurs, la tenue des poissons, les distances, les points de repères, bref toutes les données nécessaires pour réussir son séjour dans ce labyrinthe aquatique. Autre raffinement, Michel vérifie chaque mois le mouvement des brochets grâce à un écho-sondeur(*) ; de plus, un vivier, dont le volume intérieur est divisé en autant de compartiments qu’il y a de chalets, permet de stocker les vifs.
Pour les pêcheurs au mort manié ou au mort posé, il faut d’emblée sortir la canne au coup. L’Erne est vraisemblablement la rivière d’Europe la plus riche en poissons blancs mais parfois il y est paradoxalement difficile de prendre des “petits gardons”. Il est donc prudent d’emporter des poissons morts “en conserve”.
En pension complète, Yvette sert un traditionnel breakfast irlandais et donne pour midi un lunch à emporter (charcuterie, pain, fromage, dessert, fruits, café). Le soir, tout le monde se retrouve devant quelques somptueux potages ou viandes en sauce et commente allègrement la pêche du jour.
A partir de 21 h, le minibus conduira les plus résistants au pub où le tenancier “distille” à l’accordéon quelques romances françaises que tout le monde reprendra en chÅ“ur devant la plus célèbre des bières : la Guinness.
L’Erne est une rivière de 30 mètres de large en moyenne avec des méandres formant parfois des fosses de plusieurs hectares. Sa profondeur est de 2 mètres environ mais peut atteindre 10 mètres dans les fosses. Elle est bordée de prairies, de nombreux arbres et de zones humides colonisées par de splendides roselières.
A une heure de bateau du Centre, elle reçoit la Woodford river et la Rag river : nous sommes à ce niveau en Irlande du Nord, la pêche au vif y est donc autorisée.
L’Erne, tout au long de son parcours, alimente de nombreux petits lacs plus ou moins importants qu’il faudra méticuleusement prospecter. Ceux-ci sont généralement bordés de roseaux avec dans les parties moins profondes des nénuphars, potamots, pyriophylles ou élodées offrant au brochet abris et nourriture. La rivière possède elle aussi de nombreux herbiers où se côtoient nénuphars, cornifles et renoncules. Les postes à brochets y sont bien marqués mais la discrétion est de rigueur dans leur approche.
C’est avec Daniel Cittadini (directeur de la société Astucit) que nous avons prospecté “une partie” de ce labyrinthe. La première journée de notre séjour fut consacrée à la mouche afin de tester les nouvelles cannes “brochets-bass” IM8 – 10′ – 7/8 et la série de mouches brochets Drachko. Ce fut une bonne entrée en matière, nous avons pris une dizaine de poissons de 2 à 5 kg. Nous aurions certainement fait un meilleur score sans un vent puissant nous obligeant à être très prudents dans nos lancers sous peine d’accrocher le partenaire.
Le lendemain nous optons pour le mort manié ; Daniel pêche avec ses poissons “sous vide” et moi au poisson frais : égalité. Cela prouve s’il en est besoin l’efficacité de ces poissons conservés qui ont pour avantage de vous éviter une partie de pêche au coup (on n’est pas là pour ça !) qui, au surplus, ne rapporte généralement que des poissons trop gros pour être utilisés comme “mort maniés”.
La journée suivante fut consacrée au vif (hameçon simple sans ardillon) en Irlande du Nord… Un festival ! 9 poissons pris sur le même poste, une trentaine de captures dans la journée.
Pour les gros brochets, la pêche préférée de Michel Neuville est le “mort décollé” dans les fosses. Un gros gardon est tué et éventré, on place dans le ventre un “bâton” de polystyrène et un triple à l’anus. L’avançon de 40 cm passe par la gueule où un petit triple vient bloquer les lèvres. Un plomb de 10 à 20 g sur le fond et le gros gardon décolle en oscillant au gré du courant. Un flotteur coulissant et l’attente commence.
Ce jour-là, trois poissons d’une dizaine de livres se laissent tenter, c’est peu, mais la technique a fait ses preuves. Avions-nous pêché les meilleurs postes ?
La cuiller n’a pas été oubliée : nos Mepps ont été fidèles à leur réputation. Toujours pas de poissons trophées mais quel plaisir !
En cas de crues subites, la rivière devient vite impêchable ; Michel a tout prévu, il dispose de lacs fermés d’une superficie totale de 4000 hectares. Ces lacs, peu fréquentés, offrent, eux aussi, de très intéressantes possibilités. Plusieurs barques y sont installées à demeure, le transport s’effectue après le petit déjeuner, les pêcheurs, le matériel et les moteurs sont chargés dans une camionnette et transférés en moins d’une demi-heure. Sur place, Michel prépare les barques, prodigue ses conseils et fournit un plan détaillé du lac indiquant profondeurs, îles, zones de captures, résultats des dernières pêches et revient le soir chercher ses pêcheurs étourdis de calme et de solitude.
Là, nous avons pêché à la traîne au poisson-nageur sans résultat notoire, mais en prospectant les haut-fonds nous avons constaté que les gardons frayaient dans les roselières où les brochets s’étaient eux-même regroupés afin de festoyer. Ce furent deux journées magnifiques, le mort manié et le mort posé furent redoutables, plus de 20 poissons par jour : un vrai régal !
Rappelons pour terminer qu’il n’y a pas de fermeture spécifique du brochet, les périodes les plus favorables sont le printemps (de février à mai) et l’automne (de septembre au 15 décembre). Pour notre part, nous sommes allés début juin chez Michel Neuville où nous avons pris 96 poissons en 6 jours, ce qui, somme toute, n’est pas si mal pour une semaine dite de “basse saison”.
Tous les pêcheurs s’accordent à dire que dans ce sanctuaire de la pêche du brochet où les 18 bateaux permettent de prospecter 50 km de rivière et 4000 hectares de lacs, vous êtes propriétaires de l’infini…
Reportage de Pierre POUPART paru dans ” La pêche et les Poissons “, décembre 1993