Le 737 de la Ryanair vient juste de se poser sur l’aéroport et, quelques minutes plus tard, moi et mon amis Boris, un redoutable pêcheur de brochets, nous foulons le tarmac sous un ciel bleu et un froid polaire. Tout cela est bien paradoxal car nous avons laissée en France un temps typiquement irlandais. Nous récupérons rapidement nos bagages et nos bazookas et nous voilà dans le hall de l’aéroport.
Pas de mauvaise surprise, c’est Michel Neuville en personne, qui a fait le déplacement pour nous emmener jusqu’à l’International Fishing Centre. Une rapide prise de contact très conviviale et nous chargeons rapidement nos effets dans la camionnette de Michel. Nous gagnons en un peu moins de deux heures la région de Belturbet. Bien entendu, les conversations vont bon train sur la pêche du moment, et ce que Michel nous apprend n’a rien de surprenant. Le fort vent d’est qui rafraîchit l’atmosphère rend la pêche difficile tant dans la recherche des vifs que des brochets. Néanmoins, les poissons capturés sont de belle taille et la technique payante du moment, c’est le vif promené, en ramant le long des roselières.
Nous gagnons enfin le charmant village de Belturbet et Michel nous fait un léger détour pour nous montrer un petit quai actuellement propice à la capture des vifs. Nous arrivons enfin dans le centre de pêche et tout respire la propreté, l’organisation et la qualité d’accueil. Nous emménageons rapidement dans notre coquet chalet et nous rejoignons Michel qui nous rappelle les règles de fonctionnement du camp. Nous profitons de la bonne heure qui nous reste pour faire une petite provision de vifs. Hélas, la place que nous convoitions est occupée. Qu’importe, nous nous installons sur un ponton un peu plus loin et je me souviens qu’il y a de nombreuses années, j’en pinçais pas mal pour la pêche au coup de compétition. Quelques minutes capot entament quelque peu mon optimisme, mais, à force de rappeler lourd dans ces eaux tourmentées, les gardons arrivent sur le coup et quelques uns terminent dans la bourriche. Certes, quelques gardons pourraient faire de jolis vifs à silure, mais que voulez-vous, nous sommes en Irlande, la nature est généreuse et tout nous laisse à penser que les brochets sont à l’image de nos vifs. Nous glissons ensuite notre précieux butin dans un vivier de pleine eau juste au bout de notre ponton. L’ancien dispositif de conservation, pourtant déjà élaboré, ne donnait plus satisfaction à Michel et cette nouveauté permet de gérer sans souci sa provision de vifs.
Sitôt levés et toilettés, nous prenons de substantifiques réserves lors du petit-déjeuner car il faudra tenir jusqu’au pique-nique de midi. Mais nous savons, comme bien d’autres pêcheurs, que lorsque ça mord, on repousse les horaires du repas. En plus, il nous faudra ramer selon toute vraisemblance une bonne partie de la journée. Nous embarquons enfin, non sans avoir demandé à Michel de nous prodiguer ses derniers conseils. Nous descendons jusqu’à la première fosse que nous prospectons rapidement à la traîne. L’écho-sondeur nous apprend que la fosse est quasiment vide, si bien que nous nous dirigeons vers la ferme au toit rouge. Arrivé au bord d’une fosse intermédiaire, j’entends un grand plouf non loin du bateau et Boris m’indique qu’il a vu un joli brochet chasser. Il positionne en deux temps trois mouvements la barque de telle sorte que nous effectuions une jolie dérive. Oh, en fait, elle n’a pas vraiment le temps de commencer cette dérive, trois tours de manivelle et mon leurre est violemment intercepté par un joli brochet. Un combat tonitruant et me voilà en train de relâcher un beau poisson de 12 livres. Quel début !!!
Nous constatons au bout de quelques minutes que le vent d’est monte progressivement et que notre pêche au leurre devient inopérante. La pêche au vif qui suivra restera à jamais gravée dans notre mémoire. Environ 15 attaques, une seule capture par le coin de gueule et des vifs pourtant bien marqués. Rien n’y fait, nous ferrons les poissons qui tiennent le vif comme un étau et nous les perdons (parfois des poissons lourds) cinq à dix secondes après le ferrage, par le simple fait qu’ils décident d’ouvrir leur gueule et lâcher prise.
Olivier, le fils de Michel, nous achemine jusqu’à l’embarcation et nous explique, plan à l’appui, où trouver les poissons. Il fait doux et un peu gris : un temps idéal pour le brochet. Nous prenons au cours de la matinée quelques brochets au vif, puis, sur une queue d’étang, peu profonde et au fond tapissé de nénuphars, nous nous régalons en faisant évoluer nos poissons nageurs juste en face de la surface. Nous profitons alors d’une pêche de rêve jusqu’au repas de midi. Une petite pluie bien irlandaise accompagne la fin de notre repas alors que les brochets semblent, en début d’après midi, avoir déserté les postes du midi. Nous trouvons enfin la solution pour faire mordre les carnassiers. Une traîne rapide, à l’aide de poissons nageurs articulés, s’avère payante alors qu’en pêche classique, pas moyen de les faire s’intéresser aux leurres. Ce sera notre meilleure journée puisqu’une trentaine de poissons sont venus nous saluer jusqu’à notre barque.
Notre succès la veille en pêchant à la traîne nous a donné les dents longues. Nous avons décidé d’utiliser cette technique sur la ” Grande Boucle “. Nous en avons pris plein les yeux tant les paysages sont à ravir, mais notre bilan est maigre : 4 poissons de taille modeste et bien peu d’impact sur l’écho-sondeur.
En fin d’après-midi, nous rejoignons, à la ferme au toit rouge, Emmanuel et Bruno, une équipe de fins pêcheurs, qui a connu également une journée délicate. Difficile de faire mordre des poissons scotchés sur le fond, mais à force de patience, cette équipe trouve la solution (une monture JPK maniée en tirette), et capture un joli poisson d’environ 90 cm, suivi de quelques autres. Nous connaissons dans le même temps un échec total du poisson mort décollé. Mais les ” tartines ” que nous avons reperées sur le sondeur nous avaient donné une légitime tendance à insister.
Le Kyllynaher est notre prochaine destination. Ce lac en forme de cratère sent indiscutablement le gros brochet. Nous prendrons dans la journée une bonne dizaine de poissons d’environ 80 cm au manié et au vif. Tous ces poissons seront de robustes combattants, qu’il nous aura fallu extirper du cÅ“ur des roselières dans lesquelles ils étaient en poste. Bien que notre pêche ait été très intéressante, nous restons quelque peu sur notre faim. Nous fondions beaucoup d’espoir sur la capture d’un vrai gros, en vain. Olivier nous ramène le soir jusqu’au centre et je devine a travers ses propos que nous allons copieusement déguster côté temps au cours de nos deux dernières journées.
Nous décidons de pêcher la rivière Woodford et Olivier nous conseille de pousser jusqu’à la Rag River, car les migrations prénuptiales risquent de débuter et ce coup peut réserver de bonnes surprises. Hélas, le niveau d’eau trop faible ne nous permettra pas de connaître à l’embouchure de la Rag River. Nous pêchons ensuite un magnifique virage profond de la Woodford, superbe rivière de 15 mètres de large, et les échos se succèdent sans discontinuer. Nous pensons qu’il peut s’agir de gros cyprinidés mais un brochet, ” piqué ” par la veste ” en pêchant au manié me donne une vague idée de la population ésocicole du moment : ils sont là, partout, mais ne mordent pas. Il pleut, il vente, il fait très froid et la Woodford commence peu à peu à se teinter, le bon sens nous amène à nous retrancher dans un endroit plus protégé. En vain, il fait toujours aussi froid et les poissons sont toujours aussi peu coopératifs.
De guerre lasse, Boris propose de pêcher la fosse juste en dessous du centre puis de remonter prendre notre pique-nique jusqu’au lodge pour nous réchauffer. Boris a souvent de bonnes idées, mais là, il frôle le génie. A peine arrivés sur les lieux, les deux vifs que nous promenions derrière la barque sont immédiatement attaqués. Le temps un tout petit peu plus clément et la prise de plusieurs poissons remontent incontestablement le moral des troupes. La fosse, presque déserte quelques jours plus tôt, est aujourd’hui une véritable pisciculture à brochets, mais ces derniers sont tout de même bien délicats à faire mordre. Mais en baladant les vifs en souquant ferme sur les avirons, nous arrivons à décider quelques poissons dont un m’aura livré un combat fabuleux, me laissant longtemps penser que j’allais entrer dans ce que Michel appelle ” Le club des plus de 1 mètre “. Il n’en fût hélas rien.
Nous entamons plein d’espoir notre dernière journée car nous allons pêcher le Lac Killywilly. Ce grand lac, de plus de 100 hecatres, jouit d’une très bonne réputation parmi les pensionnaires de Centre. Hélas, un vent glacial, avec des rafales de nord-est proches de 120 km/h, risque de nous rendre la partie bien délicate.
Certes, les habitants de la Manche que nous sommes sont amarinés et peuvent endurer des vents puissants, mais dans les conditions que nous connaissons, il n’y a pas d’autre choix que de se replier derrière les petits îlots, que nous devons partager avec un couple de bernaches. Cette pêche statique se révélera peu prolixe mais nous parviendrons tout de même à éviter chacun la bredouille. Pas si mal dans les conditions si difficiles ! Pour conclure en beauté cette journée, des giboulées de neige (c’est, d’après Michel, tout à fait exceptionnel) viennent blanchir la chaussée à l’heure de notre retour.
C’est l’heure du retour et en bouclant les valises, nous faisons un rapide bilan de la semaine. Nous éprouvons la satisfaction d’avoir réussi de bonnes journées de pêche malgré les conditions difficiles, mais il aura fallu tout de même s’arracher pour obtenir ces résultats. A l’IFC, tout le monde prend du poisson… et même beaucoup lorsque le brochet est mordeur ; alors les valeurs se nivellent. Les périodes plus difficiles permettent aux pêcheurs plus complets et techniques de sortir leur épingle du jeu. Je conseille donc aux pêcheurs peu expérimentés de privilégier les mois les plus fastes.
Michel nous ramène jusqu’à l’aéroport de Dublin et nous prenons congé de lui comme l’on quitte sa famille, avec tristesse.
Quelques minutes plus tard, je commande une pizza et une bière à la cafétéria et je me rends compte que je viens de prononcer mes premiers mots anglais du séjour. C’est dire si les pêcheurs qui craignent de voyager à cause de la barrière des langues peuvent aller tranquille à l’IFC. la prise en charge peut y être totale. Il est vrai qu’au cours de ce séjour, nous n’avons pas mis les pieds au pub, ce qui est véritablement un crime de lèse majesté. Lors de précédents séjours, je peux vous affirmer que certains de mes amis non anglophones ont réussi sans mal à se faire servir une Smithwicks. A déguster avec modération en admirant les brochets trophées qui décorent certains pubs.
Reportage de Pascal Lehérissier paru dans ” La Pêche – Brochet – Sandre Magazine “, N° 17; Décembre 2000 – Janvier Février 2001